
Biographie
Charles Schotte, 28 ans, est baigné dans le monde agricole. Il a grandi sur la ferme familiale, à Froidmont près de Tournai, avant de s’installer officiellement avec ses parents en 2021. Auparavant, il a réalisé un baccalauréat en agronomie à Ath. Son diplôme en poche en 2016, il devient aidant agricole pour progressivement construire son projet. La ferme garde son orientation de polyculture-élevage et Charles développe un projet d’autonomie en plants de pommes de terre. La betterave fait partie des cultures historiques qu’il ne compte a priori pas laisser tomber sans y être contraint économiquement. Dans un monde changeant et contraignant pour les agriculteurs, Charles met son point d’honneur à défendre ses pairs. Il est fort investi dans la défense des intérêts des agriculteurs, via son implication dans la FJA et au comité des planteurs de Fontenoy.
Charles, un jeune agriculteur betteravier engagé
Mars 2024 - C’est au coin d’un feu réconfortant que je rencontre Charles. Nous sommes assis à la table familiale, accompagnés de ses parents, bien au chaud alors que dehors il pleut. Charles n’a pas beaucoup de temps. Il est investi au niveau national de la FJA, entre manifestations et discussions politiques, ces dernières semaines ont été mouvementées et encore plus chargées que d’ordinaire. Mais il est convaincu que c’est important de faire entendre sa voix. Il me raconte son histoire avec passion, enthousiasme et esprit critique.
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Quelles sont les productions de la ferme ? Dans quelles activités êtes-vous spécialisés ?
Nous sommes en polyculture-élevage classique. Au niveau de l’élevage nous ne faisons que du viandeux. Dans les cultures, on fait de la betterave, des céréales, quelques légumes, des cultures fourragères et des pommes de terre. La particularité de la ferme est la production de plants de pommes de terre pour les activités de notre ferme. C’est un peu mon projet, sur lequel j’ai travaillé pendant mes études et que j’ai amené à la ferme familiale. A part cette activité particulière, les activités de la ferme sont restées proches de celles avant mon arrivée.
Ça signifie que vos parents faisaient déjà des betteraves, pouvez-vous nous en dire plus ?
On fait des betteraves sur la ferme depuis des générations. Avant, il y avait même une sucrerie ici, à Froidmont, dans le village. Ensuite, la sucrerie a fermé et mon grand-père allait à la gare du village pour charger ses bet - teraves jusqu’à la sucrerie la plus proche. Maintenant, on livre Fontenoy nous-mêmes, on est des axes. La conduite de la betterave a changé par rapport au temps de mon arrière-arrière-grand-père où tout se faisait à la main.
Aujourd’hui, vous cultivez des betteraves dans votre ferme. Pourriez-vous abandonner cette culture ? Et si oui, qu’est-ce qui vous y inciterait ?
La betterave fait partie de l’histoire de la ferme, mais j’y suis peut-être un peu moins attaché que mes parents. Si nous n’avions plus assez de rémunération alors on pourrait l’abandonner. La betterave reste chère à produire. Pour l’instant le problème ne se pose pas mais si les prix n’étaient pas suffisants, alors oui, on pourrait l’abandonner ou diminuer les surfaces.
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Comment vivez-vous la campagne, le traitement des betteraves, les relations avec les fabricants de sucre ? Cette année ou en général. Qu’est-ce qui va bien et qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
L’année passée a été compliquée, avec du gel début décembre. Cette année, on s’en est bien sorti sur la ferme; on a tout pu livrer avant la fin du mois de décembre. Le service agronomique est très bien. Mais la campagne est trop longue, tout le monde a été pris au piège, l’usine comme les planteurs. On a tous intérêt à ce que l’usine tourne bien mais avec une campagne qui commence trop tard, le risque d’avoir des betteraves de moins bonne qualité augmente. Idéalement, il faudrait commencer la campagne aux alentours du 15/20 septembre. En outre, le contexte économique est compliqué. Il faudrait revoir le prix de base à la hausse, et réfléchir à un système de rétribution solide pour ceux qui livreraient plus tôt. Ça serait au final une économie d’énergie et d’argent pour tous. Pour nous, parce que bâcher et débâcher est un lourd travail. Et pour l’usine car la qualité des betteraves serait plus sûre.
Malgré un démarrage beaucoup trop tardif, on a vu que les révisions d’avant-campagne dans l’usine ont été fructueuses. Elle a bien tourné au début. Mais après on s’est fait rattraper par la dégradation des betteraves et ça a eu un effet boule de neige sur toute la filière.
Les récents événements et manifestations ont souligné la complexité d’être agriculteur aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous attire dans ce métier ? Qu’est-ce que vous aimeriez changer ?
Ce qui m’attire, c’est la liberté dans mon travail. Je m’organise comme je veux, je sélectionne les variétés qui me plaisent, je choisis la densité de mes cultures, je les conduis à ma mode. Mais ce que j’aimerais changer c’est la sécurité sur le long terme, à commencer par la sécurité économique. Le marché des céréales n’est pas porteur et cela a des conséquences sur tout le reste. Les prochains mois seront sombres. Au niveau économique, il y a des grandes questions, comme la libéralisation des marchés, mais aussi le manque de moyens pour soutenir la transition écologique. On est tous conscients des enjeux environnementaux, mais quand on s’installe ce n’est pas possible de retirer 10% de sa production sans que les revenus ne soient compensés. Il y a plusieurs mesures complexes auxquelles on doit répondre, et qui n’ont pas toujours de sens agronomique ou logique. Avec le syndicat, on souhaiterait des concertations plus régulières et constructives.​
« C’est important de faire entendre notre voix, même si parfois c’est compliqué. »
Charles Scotte
Justement, vous êtes fort impliqué dans la FJA, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Avez-vous d’autres engagements syndicaux ?
Au niveau du syndicat, je suis impliqué à la FJA où on traite de questions générales sur des sujets divers. Les décisions sont un peu moins directes et plus longues. Cette après-midi, je vais au comité des planteurs de Fontenoy. Là, c’est plus concret et plus direct. Mon investissement est venu naturellement, petit à petit. Au début, j’étais actif dans les sections locales. Puis ça m’a plu, je me suis un peu plus investi sur certains sujets et j’ai des facilités à discuter. Je suis donc arrivé à l’échelon provincial du syndicat, puis maintenant au niveau national.
Pourquoi trouvez-vous cela important ? Et qu’est-ce que l’investissement syndical vous a apporté ?
Je trouve ça en effet important, même si ça prend beaucoup de temps. Ça peut même prendre tout son temps si on veut le faire à fond. C’est important de faire entendre notre voix, même si parfois c’est compliqué. Le monde politique est très lent et les agriculteurs n’ont pas toujours autant de patience. C’est ultra important de faire entendra sa voix, surtout en tant que jeune car ça évolue très vite. Et puis, c’est enrichissant de rencontrer les gens de milieux différents et de nouer des contacts.
Comment faites-vous pour libérer du temps et de l’énergie pour votre investissement syndical ? Encourageriez-vous des jeunes à s’investir dans un syndicat, malgré les difficultés quotidiennes ? Pourquoi ?
Mes parents me supportent dans cet investissement, sinon ça ne serait pas possible. Mais je ne vois pas les choses autrement. On ne pourra pas tout changer du jour au lendemain, mais affirmer les lignes directrices d’une agriculture moderne et dans l’air du temps est très important.
En tant que jeune, c’est important notamment de soutenir ceux qui s’installent et de s’assurer un avenir.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes agriculteurs ?
D’être posé, de bien compter, de bien faire ses choix, d’assurer ses arrières et puis d’y aller, d’être sûr de soi. Sans oublier de se remettre en question quand c’est nécessaire et de ne pas hésiter à changer quelque chose qui ne va pas, même si c’est difficile.
Au niveau syndical, c’est facile de s’investir. Il ne faut pas hésiter à interpeler les responsables, aux nombreuses activités récréatives ou ailleurs. L’investissement ça vient au fur et à mesure, ça vient de la volonté de donner un peu de son temps. Ce n’est pas toujours inné chez tout le monde, mais si on ne s’investit pas c’est important de soutenir ceux qui le font pour nous. C’est aussi un sacrifice et parfois il y a beaucoup d’attentes alors que ce n’est pas toujours possible d’offrir tout ce qu’ils demandent. Il faut avoir de la patience et des attentes raisonnables car les combats que nous menons sont difficiles.
Au niveau du secteur betteravier, souhaiteriez-vous changer quelque chose dans le fonctionnement actuel des fédérations/syndicats ?
On a la chance que le syndicat soit présent à l’usine. On aimerait être plus impliqué dans les choix de l’usine, avoir plus de réunions et de contact avec les représentants des planteurs. Pour avoir un approvisionnement stable, on doit s’assurer que la betterave ne soit pas payée à perte, et donc d’avoir un prix minimum correct.
« Il faut pouvoir se remettre en question quand c’est nécessaire. »
Charles Scotte
Comme mentionné ci-dessus, le citoyen moyen, les politiciens et le personnel des cabinets des ministères de l’agriculture et de l’environnement sont parfois très éloignés de l’agriculteur. Quel message souhaiteriez-vous leur transmettre ?
L’agriculteur est là pour eux, on n’a pas intérêt à produire de la mauvaise qualité. On a conscience des enjeux environnementaux, et beaucoup d’agriculteurs essaient de déranger leurs voisins et riverains le moins possible, en adaptant l’horaire de certains travaux par exemple.
On ressent du soutien de la part des citoyens dans les manifestations, c’est encourageant. Mais il ne faut pas oublier que sur un marché mondialisé, on doit soutenir financièrement des produits différents mais qui ont la même apparence.
Les contraintes ne sont pas les mêmes dans tous les pays, on ne peut donc pas vendre nos productions dans les mêmes conditions. On en revient à la question d’un prix garanti suffisant et, derrière, de la rémunération. Différentes mesures représentent un coût direct ou indirect qui doit être compensé. La plus-value de la qualité doit être mieux mise en valeur. On a un peu plus d’influence sur les marchés un peu plus locaux où on peut rencontrer les différents acteurs, via notamment l’implication syndicale.