Durabilité... Tout dépend de la façon dont on voit les choses…
- Stefaan Van Haecke
- 20 janv.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 mai
Plus catholique que le pape, nous ne le serons jamais… mais blasphémer contre l’église, ce n’est pas non plus notre intention. Cependant, oser remettre en question le sujet phare des PDG, des grands actionnaires et des entreprises de l’industrie agroalimentaire – à savoir la durabilité ou « sustainability » – vous transforme vite en persona non grata. Pourtant, pour nous, agriculteurs, c’est une évidence ! Si on traite durablement les planteurs, le premier maillon de la chaîne, toute la chaîne peut devenir durable !
Nous voulons bien sûr qu’il soit encore possible d’exploiter des terres agricoles dans 20, 30, 40 ou même 100 ans, dans un environnement sain, à l’air frais, avec des sols fertiles, tout en prenant en compte ce qui nous entoure. (Et honnêtement, nous ne faisons pas si mal que ça actuellement !) Mais pour que l’agriculture continue à exister, il faut des agriculteurs...
En tant que secrétaire des planteurs de betteraves qui fournissent une sucrerie belge (ISCAL), je suis de près tout ce qui concerne cette usine sur les réseaux sociaux, notamment sur LinkedIn, la plateforme privilégiée des professionnels et des entreprises. Récemment, Frédéric Panier, CEO d’AKT for Wallonia (anciennement Union Wallonne des Entreprises), a visité ISCAL. Il a été impressionné par leur projet visant à transformer les flux résiduels (la pulpe) en énergie renouvelable (biogaz), dans le cadre de leur stratégie de décarbonisation « go-for-zero (CO2 ) ».
Et en effet, c’est un modèle économique solide : produire du gaz vert tout en produisant du sucre. Cela permet de commercialiser du sucre comme produit « zéro déchet », un concept très prisé par des enseignes comme Delhaize et Colruyt. Ce modèle offre également des revenus supplémentaires : vente de gaz (en partie utilisé en interne), revenus du sucre, et émission de certificats verts (CV).
Cela peut sembler surprenant venant d’un représentant syndical betteravier, mais une usine a effectivement besoin d’un modèle économique viable. Sans usine, pas de planteurs… mais sans planteurs, pas d’usine non plus.
Les planteurs, eux aussi, ont besoin d’un modèle économique durable ! Si ISCAL a toujours maintenu un équilibre entre l’usine et les planteurs pour la fixation des prix des betteraves, les ayant-droits sur la pulpe et les indemnités associées, la quête de durabilité via la production de biogaz vient perturber cet équilibre. (Et les autres aspects de cet équilibre ne sont pas parfaits non plus, mais c’est un autre débat.) La pulpe, qui est une propriété des planteurs, a une valeur énergétique et génère des revenus verts (certificats).
ISCAL, qui se présente comme un modèle dans les discussions sur une répartition équitable des revenus dans l’industrie agroalimentaire, montre ici une autre facette. Traiter durablement ses planteurs implique aussi de répartir une partie de la valeur énergétique de la pulpe dans les indemnités de la pulpe.
Revenons à la publication LinkedIn concernant la visite de l’ATK chez ISCAL. Sous cette publication, une question a été posée : que deviennent ces flux résiduels ? Lorsque vous expliquez que la pulpe retourne chez les planteurs par le biais d’un transport retour, qu’elle est ensuite utilisée pour nourrir les animaux, lesquels produisent du lait et de la viande… et que le fumier de ces animaux enrichit à nouveau le sol, où de nouvelles betteraves peuvent être cultivées… alors, la discussion s’arrête là. Ici, ce sont les planteurs qui bouclent le cycle : n’est-ce pas cela, une vraie gestion durable ?
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Lorsque les grands distributeurs demandent plus de durabilité à l’industrie agroalimentaire, cette pression est transmise aux fournisseurs – donc à nous, les planteurs. Ils souhaitent nous imposer davantage de pratiques (souvent contraignantes) : agriculture de précision, désherbage mécanique, recyclage de l’eau et des déchets, aménagement de bandes fleuries, etc. La plupart de ces mesures ne nous posent pas de problème en soi, mais elles engendrent des coûts supplémentaires. Notre modèle économique exige aussi une contrepartie !
La plupart de ces initiatives relèvent de mesures supplémentaires par rapport à la législation. Dans la filière végétale, elles passent souvent par des cahiers de charges comme Vegaplan. En tant que betteraviers, nous devons rester très vigilants. Si certains clients octroient une prime pour les produits certifiés Vegaplan, pour nous, c’est une obligation : les betteraves non certifiées ne franchissent même pas les portes de l’usine ! Ainsi, les producteurs de sucre peuvent profiter des nouvelles exigences de durabilité introduites via Vegaplan, sans offrir de compensation supplémentaire. Cela semble peu équitable… et certainement pas durable pour les agriculteurs.



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